TEST - The Legend of Zelda



Ma très chère Augustine,

Vous aurez constaté qu’en cette soirée d’automne, je n’ai pas regagné notre couche nuptiale idoine. Figurez-vous, ma mie, qu’un amusant jeu du sort, aléa du destin, m’a tenu éloigné de notre lit conjugal pour d’inattendues raisons. Je n’ai guère été retenu dans un quelconque estaminet brassant d’éthylées breuvages houblonnés, ni n’ai perdu ma route dans les bras de quelques frivoles aguicheuses de bas étage.

Tout a commencé un anodin jeudi de novembre 20XX, lorsqu’une affable connaissance m’écrivit pour me partager sa joie légitime de s’être offert la console de jeu vidéo sobrement nommé Nintendo Classic Mini, une NES modèle réduit, dotée dans sa petite marmite électronique d’une trentaine de jeux mythiques vingtenaires. Constatant mon vif intérêt pour le bidule vendu pour la coquette somme septante-neuf francs suisses sonnants et trébuchants, ladite connaissance m’a sympathiquement proposé de m’en acquérir un exemplaire le lendemain, car il retournait dans l’enseigne commerciale y relative. Beatus qui prodest quibus potest ! Comme il en restait des dizaines, il ne doutait pas de faire mon bonheur le lendemain. Fi ! Nous fûmes tous deux également marris lorsque mon compère constata, effaré et estourbi, que les commercants ne possédaient plus un seul exemplaire dudit gadget. Le succès de cette Nintendo Classic Mini avait dépassé les attentes les plus enthousiastes des négociants.



Dum spiro, spero ! Faisant de mauvaise fortune bonne grâce, je décidais alors de me rendre dans le centre urbain suivant, dans la cité olympique, afin d’acquérir auprès de marchands d’un autre acabit de ce bidule auquel je n’avais jamais accordé la moindre pensée jusqu’alors. Un commerçant de la Fédération Nationale d’Achat des Cadres m’informa que, las, le gadget était devenu introuvable, qu’il pourrait me recommander auprès de son supérieur pour que j’en obtinsse un exemplaire dans les mois suivants, contre la rondelette somme de cent-vint francs suisses. Fichtre ! m’exclamais-je, meurtri, voilà une coquette augmentation. Je ne saluais pas cet outrecuidant foutriquet et quittais sans ôter mon chapeau son enseigne.

De retour dans mes pénates, je reçus des missives de mon camarade précité, qui me narrait, enthousiaste, les aventures de son vidéoludique et elfique avatar, qui parcourait les contrées imaginaires d’Hyrule. Ducunt volentem fata, nolentem trahunt !, estimais-je en mon for intérieur. Je me saisis donc de ma manette Wii U, téléchargeais une copie de sauvegarde virtuelle du jeu de mon compère, premier Zelda ayant vu le jour il y a trente ans et décidais de le coiffer au poteau en terminant les aventures de Link avant lui, sans oublier de lui envoyer des missives afin de le tenir au courant de mon avancée.



Homo homini lupus est : une vive mais néanmoins amicale concurrence s’établit ainsi en cette soirée d’automne où, ma chère Augustine, vous ne me vîtes aucunement regagner ma couche. Il me fallait courir dans les plaines pixelisées d’Hyrule, parcourant les donjons, rassemblant les conteneurs de cœurs, cherchant l’épée magique qui supplanterait l’épée de bois, traversant les tableaux en coups ferrant. Au terme de la nuit, aucun de nous ne termina le jeu. Néanmoins, je remportais à mes yeux cette effrénée épopée digne d’un marathon, obtenant le bracelet bleu permettant à Link de réduire les dommages reçus par deux. 

Il est vrai, que je profitais de plusieurs avantages sur mon camarade et concurrent : je n’étais pas astreint comme lui à me réveiller à potron-minet le lendemain afin d’ouvrir mon auberge, j’avais déjà, partiellement, en ma possession une sobre mais utile carte de ce monde légendaire et j’avais d’ores et déjà parcouru cette contrée dans mon enfance. Me vinrent alors ces vers, qui, je l’espère mon Augustine, ne te barberont guère. 

J’ai eu tort je suis revenue
dans cet Hyrule loin, perdu, 
que j’avais vu dans mon enfance

Longtemps j’ai joué à ce jeu
je crois que j’ai triché un peu
j’ai retrouvé mon innocence

Avant que le soir ne se pose
j’ai pu tout voir :
les donjons remplis de choses 
j’ai tout pu voir : 
les boss contre lesquels mes frustrations de jeune ado 
rejaillissaient comme source claires 
Elixir, arc, boomerang et radeau 
Tout revenait comme hier 

La galère de tout recommencer 
et l’inertie de cette interface 
c’est fou : tout, j’ai tout retrouvé 
hélas 

Ainsi, malgré les vilaines images de ce jeu trentenaire, je ne vis pas les heures s’égrener les unes après les autres comme les perles d’un antique et long collier. Le lendemain, j’offris à mon camarade de jeu la carte que j’avais tracé durant cette nuit que je n’ai guère passé à vos côtés. Il l’accepta, magnanime, et promit de trouver rapidement le bracelet bleu et l’épée magique.



Notre quête n’est guère terminée, mais ce voyage imprévu a déjà rempli son office : j’ai voyagé dans le temps, ma mie. Chaque créature que je croisais avec mon elfique avatar me chantais la douce mélopée de la nostalgie. Ces quelques heures passées avec Link plutôt qu’avec vous furent dérobées au temps lui-même et je ne saurais vous dire quel âge j’avais alors. Ma très chère Augustine, je croyais tout savoir sur Zelda depuis toujours. Je m’étais trompé, je croyais que cette antiquité n’avait plus rien à m’apprendre, mais sachez-le, mon aimée, j’ai grave kiffé ma race.

Note: 1986
Mention: CHF 7 le voyage dans le temps.

Lucien


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